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[Interview] Transformation numérique et musées : quels sont les nouveaux défis, pratiques et usages ?

By 27 janvier 2022 No Comments
Digital Museums

Liée à l’essor d’internet et au développement des nouvelles technologies, la transformation numérique est un phénomène qui touche tous les secteurs d’activité, y compris l’art et la culture. Les usages du numérique viennent modifier les attentes des visiteurs, obligeant les musées à diversifier leurs pratiques pour se réinventer. Afin d’aborder ces nouveaux défis sous un œil d’expert, nous avons eu le plaisir d’interviewer Suzie Maccario, muséographe et directrice de l’agence Âme en Science.

Pouvez-vous vous présenter et nous expliquer en quoi consiste votre activité ?

Je m’appelle Suzie Maccario et je dirige Âme en Science, une agence de muséographie scientifique que j’ai créée en 2004. En tant que muséographe, je définis les contenus, scénarise le parcours d’une visite et conçois les dispositifs de médiation d’une exposition selon les publics visés. Pour ce faire, je travaille main dans la main avec de nombreux experts auprès desquels je récolte de nombreuses informations que j’utilise pour constituer une trame narrative. In fine, mon objectif consiste à rendre une visite accessible, riche d’enseignements, pertinente, agréable… et surprenante ! Faire naître l’émotion, et surtout m’assurer qu’une fois la visite terminée, les gens ont appris quelque chose.

Ces muséographies, je les conçois pour les musées, mais également pour les institutions, les villes, les communautés d’agglomération et même les laboratoires de recherche.

Passionnée d’innovation numérique, j’ai développé une expertise dans les technologies innovantes et immersives : réalité augmentée, projections mapping, outils de captation de mouvements, installations interactives, tables multitouch, etc.

Suzie Maccario, muséographe et directrice de l’agence Âme en Science.
Suzie Maccario, muséographe et directrice de l’agence Âme en Science.

La crise COVID a malheureusement contraint les musées à fermer leurs portes durant plusieurs mois, les obligeant à identifier de nouvelles alternatives pour communiquer auprès de leurs visiteurs et se démarquer. Quelles initiatives avez-vous pu observer ?

Plusieurs phases ont marqué ces 18 derniers mois de crise sanitaire. Pour s’adapter à un contexte sans cesse évolutif, les musées ont dû s’essayer à différentes pratiques, ajustant continuellement leur stratégie. Le jour où ils ont dû fermer leurs portes, internet fut leur seul moyen d’entretenir le contact avec leurs publics. Sites web, newsletters, réseaux sociaux, visites virtuelles… L’utilisation du numérique s’est beaucoup développée et certains établissements se sont démarqués. Le Louvre, par exemple, nous a permis de contempler certaines œuvres en réalité augmentée grâce à son application et le rendu était très qualitatif.

Lorsque les musées ont pu rouvrir leur enceinte, les réglementations mises en place ont condamné l’utilisation de nombreux dispositifs de médiation, ce qui a lourdement impacté l’expérience visiteur : incapacité de sentir les odeurs en raison du port du masque, interdiction de toucher, de s’assoir, d’interagir en groupe, etc. Si cela nous a poussé à imaginer des dispositifs plus adaptés comme des écrans autonettoyants ou des animations par captation de mouvements, investir dessus sans savoir si les mesures allaient évoluer aurait été trop extrême. La bonne nouvelle, c’est que ces changements opérés au pied levé se révèlent être source d’innovation !

Pour combler leur manque de visiteurs, les musées ont dû diversifier leurs pratiques afin de séduire une audience plus large. Le Muséum national d’Histoire naturelle par exemple, avec l’Odyssée Sensorielle et son parcours sur les animaux disparus en réalités virtuelle et augmentée s’est montré très innovant, et l’expérience fut réussie. Ces techniques s’employaient déjà avant la crise, mais leur utilisation se démocratise et l’on ressent une plus grande volonté d’adaptation de la part de certains établissements. Cela doit continuer !

Plus généralement, ces nouvelles pratiques viennent casser certains codes que l’on considérait parfois comme trop classiques. L’accès à la culture devient plus accessible et moins magistral, ce qui est très positif, tant pour les visiteurs que pour les musées.

Aujourd’hui, quels sont les principaux enjeux que doivent affronter les musées selon vous ?

Tous les musées doivent pouvoir fournir à leurs visiteurs les codes pour comprendre leurs expositions, et ce au travers d’une expérience forte. Il suffit d’observer de plus près les plus jeunes générations. Elles sont exigeantes et veulent comprendre, interagir, ressentir une émotion et bien sûr, pouvoir la partager. Lorsque le visiteur ressort, se sent-il émerveillé, transformé ? A-t-il compris le message que l’on souhaitait faire passer ? On doit se poser ces questions. Certaines œuvres traitant de la mythologie grecque ou encore de l’ère de la Chrétienté, par exemple, ne parlent pas naturellement à tout le monde. Il y a là un réel enjeu d’agilité pour rendre la visite à la fois riche d’enseignements et divertissante, sans pour autant proposer du ludique à outrance. Équilibrer sa médiation en travaillant ses scenarii et en variant ses dispositifs est donc clé pour capter l’attention. On ne veut pas tous du numérique ! Certains préfèrent les objets, d’autres le sensible… il en faut pour tous les goûts et chaque élément proposé au cours d’une visite doit y avoir sa place pour faire rêver le visiteur !

C’est un métier de raconter une histoire et il ne se suffit pas d’intégrer des audioguides, de la réalité virtuelle ou de développer des projections mapping si le message est creux. Certains projets ne sont malheureusement pas assez profondément étudiés et des sommes d’argent considérables sont dépensées inutilement. Il convient de bien calibrer la réalisation de son projet pour qu’au bout du compte, la visite ait du sens. Autrement, le risque serait de mettre à disposition des visiteurs un tas d’outils numériques sans savoir quel contenu transmettre. Il y a là un réel enjeu de maîtrise d’ouvrage.

Selon vous, quelles opportunités les outils du web représentent-ils pour les musées ?

Ces outils représentent un très bon canal de communication pour les établissements et on l’a observé lorsqu’ils étaient fermés. Par exemple, les services proposés via un site web viennent en quelque sorte décupler l’expérience pour le visiteur ! En capturant des moments forts de leurs expositions (photos de dispositifs inspirants par exemple), les musées nous permettent d’appréhender certaines œuvres différemment et de débuter notre visite avant même de nous y rendre. A l’inverse, en poursuivant l’interaction avec leurs publics, ils prolongent cette même expérience, après la visite. Les réseaux sociaux quant à eux sont des lieux d’échanges qui permettent à chacun de s’exprimer et qui, en plus, correspondent particulièrement aux usages des plus jeunes générations. Ces pratiques permettent d’une certaine manière de consommer la culture d’une autre façon et c’est une bonne chose car un musée doit évoluer avec son temps.

Internet est une source d’informations très précieuse pour les professionnels des établissements et ils ont tout intérêt à s’en servir pour nourrir et développer leurs pratiques. Aujourd’hui, il y a de formidables Youtubeurs en sciences qui abordent certains sujets techniques avec humour et pédagogie et cela plait !

Comme tout support, le web implique certaines limites ! Certaines choses ont beau être « instagrammables » ou « TikTokables », elles ne représentent parfois que très peu de sens. C’est encore une fois une question d’équilibre et nous saurons en tirer le meilleur des partis avec le temps !

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